dimanche 13 juillet 2014

Design d'expérience : l'interaction technique et sociale

Dossier : Mark Zuckerberg, Kevin Systrom, Sean Rad : qu’ont finalement inventé les fondateurs de Facebook, Instagram et Tinder ? Designers d’expérience ou ingénieurs, la valeur résiderait-elle moins dans la technologie que dans le design ?

 Mark Zuckerberg, Kevin Systrom, Sean Rad : qu’ont finalement inventé les fondateurs de Facebook, Instagram et Tinder ? Designers d’expérience avant d’être des ingénieurs, le succès de leurs entreprises nous enseigne qu’aujourd’hui la valeur réside moins dans la technologie que dans le design, dans la réinvention de l’expérience au service de l’utilisateur et la capacité des organisations à intégrer cette compétence. Retour sur le séminaire de recherche co-organisé par le Social Media Club, l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS – Séminaires Histoire de l’Internet, et l’Equipe Médias, Cultures et Pratiques Numériques de l’Université Paris 3.

De l’interface graphique à l’interface utilisateur
Les années 60 ou l’émergence d’un utilisateur universel
« L’informatique, quand elle est née, n’avait pas d’utilisateur ». Benjamin Thierry, historien de la Communication Homme-Machine et de l'ergonomie à Paris-Sorbonne, analyse les étapes qui mènent à la constitution des premières interfaces informatiques à destination du grand public. D’abord envisagé comme un « incapable », puis comme un usager passif des télécoms, simple consommateur de temps au sein d’interfaces collectives et verticales (incarnées par le minitel français, ce « ringard-avant-gardiste »), l’utilisateur s’éduque dans les années 80 avec le succès industriel et économique de la micro-informatique. 
Conçues pour augmenter son intelligence tout en s’adaptant à son appréhension limitée du support informatique, les interfaces graphiques englobantes et multitâches se généralisent en même temps que la souris et son système de pointage, qui facilite la navigation entre les fenêtres. L’utilisateur universel, travailleur du tertiaire, devient un « informaticien déguisé ».
Une culture de l’interaction avec les interfaces graphiques
Au début des années 90, le design d’interface instaure ses codes. Conçues comme des métaphores du réel (la corbeille du bureau, la fenêtre d’une application…), les interfaces graphiques s’homogénéisent et les normes de conception se consolident à mesure que les utilisateurs se les approprient. Des conventions d’utilisation naissent et s’insèrent dans le contexte culturel et historique jusqu’à progressivement modéliser l’utilisateur, explique Etienne Candel, maître de conférences et chercheur au GRIPIC-CELSA.
Ces conventions servent de support aux concepteurs pour orienter les utilisateurs au sein des environnements numériques : les affordances sur les liens hypertextes, les techniques mobilisées pour le titrage des articles de presse sur les réseaux sociaux, ou encore la fonction incitative du bouton et le sens du like sont autant de repères qui placent l’utilisateur dans des rôles, le guident et le servent à la fois.
L’usage préexiste au service
Difficile d’anticiper les comportements des utilisateurs. « Il n’y a pas de création ex-nihilo d’usages » souligne Benjamin Thierry « on est plutôt dans un despotisme éclairé ». Les concepteurs façonnent la demande en puisant dans un répertoire de signes (sémio-pragmatiques) qu’ils combinent, puis l’utilisateur vient valider un usage qui lui préexiste. Pour autant, les figures de l’utilisateur se multiplient. 
En effet, si l’utilisateur n’a pas conçu l’application, le concepteur n’a lui pas conçu le dispositif dans lequel il inscrit son application (l’Apple Store par exemple). Dans ce jeu de miroirs, l’analyse des datas se substitue aux entretiens avec des panels d’utilisateurs : « On lit dans les données des besoins qui seraient imperceptibles dans les panels » explique Geoffrey Dorne, UX designer (et blogueur sur graphism.fr) pour qui concevoir un service revient deplus en plus à imaginer les interactions auxquelles il va donner lieu et à suivre l’évolution des usages.

Inutile de sortir sa carte RFID du fond de son sac Curious Rituals

L’avènement du design d’expérience
Les interfaces deviennent sociales…
Au lieu de proposer une interaction entre les utilisateurs et le système, comme elles le faisaient avant, les interfaces proposent aujourd’hui une interaction entre les utilisateurs via le système, constate Geoffrey Dorne. En se généralisant, les interfaces se socialent : ainsi l’utilisateur peut poser sa tablette à plat et la partager plus facilement qu’un PC, qui est lui orienté vers un seul individu. Des expériences sociales qui reposent sur le numérique permettent aux gens de se retrouver « in real life » : en témoigne les success story de l’économie collaborative, comme laRuche qui dit oui, Airbnb, le mouvement Ouishare ou encore des applications sociales commeTinder.
… et plus personnelles à la fois
L’outil nous relie et s’individualise à la fois. Plus techniques et plus fonctionnelles les interfaces deviennent également plus sensibles, plus intuitives. « L’interface ne disparaît pas mais s’intègre à l’humain ». Le tactile en est la meilleure illustration. L’amélioration de l’expérience passe aussi par l’émotion qu’elle suscite. 
On peut discuter avec SIRI et s’amuser de ses réponses : on entretient alors un rapport affectif, voire intime, avec ce type d’applications que l’on utilise au quotidien et auxquelles on confère une dimension quasi-animiste, vivante. Les objets connectés marquent aussi ce retour au tangible. En personnalisant son expérience, l’utilisateur devient le dernier chaînon de conception de l’interface.

L’imprimante Berg imprime votre univers numérique


Le design : la compétence-clé pour se démarquer du marché
Faire du design d’expérience un savoir intégré
Le design d’écran représente des enjeux stratégiques et de pouvoirs majeurs pour les organisations, depuis les startups jusqu’aux banques, en passant par les industries et les groupes de presse. Elles sont contraintes de l’intégrer au même titre que les fonctions régaliennes de la société, alors que cette compétence n’existait pas il y a encore dix ans. Pour devenir une organisation « designeuse » d’expériences, il faut savoir se remettre en cause : comment recruter, manager, former, pour produire du design d’expérience ? Jean-François Marti, président de Nealite, agence de conseil en design d’expérience utilisateur et ergonomie, a conduit le projet de numérisation du journal Libération
Il partage son expérience : « C’est un travail collaboratif, participatif, et multidisciplinaire qui bouscule les process des organisations et valorise l’itération aux dépends de la planification ». Parce que l’identité de la société est en jeu, il est indispensable de mettre à contribution l’ensemble des services et non pas les seuls responsables du numérique ».
L’autre mot d’ordre : la souplesse, car il faut savoir faire « pivoter » son projet en fonction de son succès et de son développement sur le marché. Chez Nealite, quatre étapes sont identifiées dans le déroulement d’un projet : comprendre les attentes utilisateur, inventer des services, les adapter à l’écosystème digital, aux terminaux, et enfin créer l’interface dédiée.
Car « le pouvoir est au bout de l’écran »
Auparavant passifs, les écrans permettent désormais de faire : nous produisons, rencontrons, contribuons, achetons, actons depuis l’écran. « Ce qui se fait dans l’écran n’est plus une question de technologie mais de design d’expérience ». Notre société d’hyper-écran véhicule un nouveau rapport au monde. 
La valeur réside davantage dans l’expérience créée grâce à l’écran que dansla technologie employée. C’est ce que suggère le succès d’Instagram, qui a supplanté le géant de la photographie Kodak en inventant une expérience sociale de partage de photos transformées, ou encore celui d’Apple et son Iphone qui a envoyé Nokia aux oubliettes alors que le fabricant semblait seul maître du marché. Mais la clef du succès reste dans la liberté donné aux utilisateurs : « ce sont eux qui déterminent l’usage final ». Le design d’expérience doit donc se penser comme un produit jamais fini, inachevé, à faire évoluer au gré des usages « in vivo ».

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mardi 1 juillet 2014

S'abonner à Explee

Bonjour MOOCeuses et MOOCers! 

Le MOOC se termine et il en est de même pour votre abonnement Explee

. Nous voulions vous remercier pour vos vidéos : émouvantes, engagées et surtout pleines d’imagination ! Votre créativité va nous manquer !

Mais comme vous êtes à présent des maîtres dans l’art de la pensée design vous aimeriez peut-être prolonger un peu l’aventure Explee

… Alors nous aimerions vous offrir : 6 mois gratuits pour toute souscription d’un an à l’offre business avant le 11 Juillet 2014 avec le code MOOCPDESIGN pour toujours plus d’incroyables Explee !

A bientôt,

Cloé d’Explee

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Comment les Mad Men et les Math men travaillent ensemble chez Criteo ?

Alors qu’il est souvent commun d’opposer les Math Men, les Ingénieurs de l’Ad Tech, aux Mad Men, les équipes créatives, chez Criteo, les deux équipes s’apprivoisent et travaillent en commun depuis plus de quatre ans.

Nous avons rencontré Fabrice Destagnol, 38 ans, diplômé des arts décoratifs et ex Directeur Artistique dans le Print pour le Luxe, la Mode et la Cosmétique. Actuellement Directeur de Création chez Criteo, il gère une équipe de 40 personnes entre Paris, New York, Pékin et Tokyo.
Fabrice a monté l’équipe créa chez Criteo il y a quatre ans pour répondre aux besoins de nombreux clients qui demandaient un travail supplémentaire de personnalisation graphique des bannières, au-delà du contenu.

Pour Fabrice, la condition préalable d’un travail harmonieux entre les Mad Men et les Math Men a tout d’abord consisté à adopter une démarche de mesure et de test permanents. Une approche qui signifie, côté créa, d’accepter de confronter ses intuitions à la réalité des chiffres.
Un processus vertueux comme le précise Fabrice : « C’est une démarche interactive. Les insights sur les clics et les parcours d’achats nourrissent en retour la réflexion des équipes créatives et permettent d’améliorer l’efficacité des formats publicitaires ».

Pour lui, travailler ensemble, avec les commerciaux et la Recherche et le Développement reste une étape indispensable, constructive et enrichissante : « il y a autant de créativité à la R&D que dans l’équipe créa ».

Simplifier la lecture du message
Chez Criteo, un énorme travail souterrain et souvent invisible se déroule sur les bannières. Les équipes créatives, R&D et business en charge de la DCO (Dynamic Creative Optimisation) ont ainsi mis en place une solution automatisée de production de bannières proposant pour chaque création plusieurs niveaux d’optimisations de couleurs (bordure texte fonds) et des niveaux de navigation possibles (Carrousel, Slideshow etc…). Au total, l’outil permet 1232 combinaisons à ce jour.

Chaque semaine, des comités spéciaux « Les Sprint » réunissent également les équipes créatives, Business Intelligence et commerciales autour de l’optimisation des campagnes clients. Ce mode de gestion pluridisciplinaire nous précisera plus tard Thomas Jeanjean, Directeur Général de Criteo France est fortement ancré dans l’ADN de la société. « Nous tenons à réunir plusieurs profils différents en face du même client. C’est pourquoi nous avons cassé la logique de Front et de Back office. D’un point de vue RH, cela implique de recruter des gens capables de travailler ensemble quels que soient leurs univers».

Car comme le précise Fabrice, aucune solution ne marche éternellement « Il faut s’adapter aux contextes et être capable de proposer une multitude d’options qui évoluent dans le temps. Il est indispensable de surprendre l’œil de l’internaute avec de nouvelles créas pour capter son attention ».

« Le job d’un graphiste ne consiste pas uniquement à faire quelque chose de joli, mais principalement, comme le disait un de mes profs aux Arts déco, de simplifier la lecture du message. Dans le monde de la publicité numérique, le contenu doit être compris en une fraction de seconde » poursuit Fabrice.

Au départ, l’interface de DCO va donc proposer une infinité de possibilités que le moteur Criteo poussera au maximum de ses capacités de performance.

Les chiffres enrichissent la création
« A ceux qui pensent que les chiffres sont totalitaires » souligne Fabrice, « ils se trompent. Ils ouvrent au contraire beaucoup plus de possibilité dans le temps et dans l’espace. Il y a une multitude de solutions adaptées à chaque internaute. Moins de formatage, plus de personnalisation»

« Par ailleurs » insiste Fabrice, « alors que nous gérons plus de 15.000 demandes clients dans l’année, la capacité à modéliser rapidement et optimiser les bannières grâce aux outils développés par les ingénieurs permet de gagner un temps précieux. »
Ainsi, son équipe qui pouvait produire 35 bannières en une heure en 2010 peut en produire aujourd’hui 1232 pour chaque annonceur.

La Data n’élimine pas la créativité
Fabrice regrette t-il son ancien métier de DA ? «Pas du tout, ce qui me paraissait passionnant était de faire le lien entre la partie analytique et la partie image et je préférais plutôt y participer que subir cette tendance. J’ai compris que la data n’éliminerait pas la créativité. Au contraire, elle la nourrit. Il y un énorme champ de créativité à développer car les clients nous demanderont toujours d’innover ».

« on ne devrait plus se poser la question du rôle que peut jouer la créativité dans le monde de la data, et inversement. Cette bataille est dépassée » conclut Fabrice.